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AXE CS²: CULTURES SPORTIVES ET CATÉGORISATIONS SOCIALES

L’équipe de l’axe  CS² travaille autour de deux thèmes de recherche.

Responsable d’équipe : Anaïs Bohuon
Chercheurs et chercheuses : Anaïs Bohuon, Florys Castan-Vicente ; Christophe Granger ; David-Claude Kemo-Keimbou ; David Sayagh ; Anne Schmitt
Doctorant.e.s : Peterson Ceus, Léa Gogniat ; Louis Neymon, Lucie Pallesi

Dans une approche pluridisciplinaire, au croisement de l’histoire, de la sociologie, de l’anthropologie et de la science politique, les travaux de recherche du thème “Corps, sport, Genre et Rapports de pouvoir” étudient la construction sociale des corps et de leur biologisation.

Les différents contextes et formes de mise en mouvement des corps dans les sports et les activités physiques sont abordés en particulier au prisme du genre, entendu comme un outil heuristique permettant d’analyser les imbrications entre les rapports de pouvoir liés aux catégories de sexe, de classe, de race, de handicap, d’âge et d’orientation sexuelle.

Sociologie, anthropologie, histoire et science politique se distinguent par les formes d’investigation empirique que chaque discipline mobilise. Archives, observations, entretiens et questionnaires constituent quatre modes privilégiés de production de données, quatre configurations méthodologiques spécifiques. En pratiquant chacune de ces méthodes de recherche, il s’agit aussi, sous un angle à la fois méthodologique et épistémologique, de mettre à l’épreuve les modalités de production du savoir en sciences sociales et de réfléchir aux conditions de possibilité de leur combinaison.

Biologisation du social

Anaïs Bohuon, Florys Castan-Vicente, Christophe Granger, Louis Neymon et Lucie Pallesi


Au sein de ce thème, les travaux de recherche des membres de l’axe portent sur l’essentialisme racial, sexué et/ou genré, associé à la performance sportive et plus largement sur la problématique de la biologisation du social dans le domaine sportif. Cette biologisation, tout particulièrement à l’œuvre dans le champ et l’histoire du sport et des activités physiques, contribue à produire des catégories de pouvoir, héritées d'autres pratiques (médecine, droit, physiologie...). En les renforçant par leur autorité scientifique, les discours de naturalisation, de déshistoricisation et d'essentialisation de la race, de la sexualité, du genre, servent la reproduction de représentations sociales idéologiques hégémoniques.

Les travaux de Anaïs Bohuon sur l’histoire des contrôles de sexe (2012, 2015, 2019) et ceux de Lucie Pallesi sur la transidentité dans les sports de compétition (Pallesi et Bohuon, 2023, Pallesi, 2024 à paraître) ont pour objectif de construire un dialogue avec les sciences biologiques et médicales, afin d’engager une démarche d’historicisation des catégories bio-médicales relatives à la différenciation sexuelle, comme de leur instrumentalisation en dehors de la recherche bio-médicale pour mettre au jour les rapports de pouvoir qui traversent, perturbent et parfois biaisent la recherche sur l’élaboration de ces catégories historiques (Bohuon et Dorlin, 2021). De ce fait, ces recherches ont pour finalité de rendre plus intelligible la complexité des corps sexués et/ou genrés et le caractère indécidable de l’inné et de l’acquis en matière de performance sportive (Bohuon, Quin, 2021; Bohuon et Quidu, 2022). S’il continue d’être opérant pour comprendre le sport du début XXIe siècle, le concept de « fief de la virilité » est certes le produit d’une réflexion sociologique mais il possède cependant un fondement anthropologique et épistémologique, touchant à la biologie et à la physiologie des corps humains, eux-mêmes construits par plusieurs siècles de discours médico-philosophiques (Bohuon et Quin, 2015). Il est le produit d’une histoire dans laquelle s’est engagé un nombre incalculable d’acteurs sociaux aux motivations, aux intérêts et aux légitimités diverses. (Castan-Vicente et Bohuon, 2019).

Sous ce même angle analytique, les recherches de Christophe Granger portent sur la racialisation du corps, des athlètes et des performances sportives. Menées dans une perspective socio-historique qui conjugue l’étude des archives et les terrains ethnographiques, elles prennent pour objet la construction et la perpétuation scientifique, juridique et populaire de la race, le plus souvent à l’intersection de la masculinité, comme forme corporelle de classification des individus (Fabre, Granger, Surun, 2023). Mais elles étudient aussi la manière dont cette racialisation pèse à la façon d’une structure sociale à la fois sur la socialisation, les pratiques et les actions situées des acteurs en naturalisant les rapports de pouvoir avec lesquels ils ont à composer. Elles étudient enfin comment cette racialisation est combattue, dénoncée ou contournée sous des formes de résistances qui peuvent aller de l’émeute (Granger, 2016) à la subversion symbolique des règles. Cette recherche articule plusieurs enquêtes spécifiques, vouées à comprendre comment s’opère et se maintient cette racialisation dans et par le sport. L’une d’elles, articulant l’analyse détaillée des discours bio-médicaux, de la structuration institutionnelle du champ sportif, des trajectoires biographiques d’athlètes mais aussi de la dimension symbolique et cognitive à l’œuvre au sein de l’acte sportif, porte sur la naissance et la reconnaissance du “champion noir” en France entre 1890 et 2020 (Granger, 2024, à paraître). Les recherches de Louis Neymon s’intéressent à l’historicité de la performativité du genre, particulièrement des masculinités, réactualisée d’une manière nouvelle sur les réseaux sociaux et sur internet plus largement. Ainsi, ces champs d’études s’ancrent dans une historicisation de ce qu’est la masculinité, à rebours de perspectives strictement biologiques, présentes par ailleurs au sein des pratiquants de la force. La pratique de la force, à travers les disciplines du strongman et de la force athlétique, permet aux hommes notamment (mais non strictement) de « s’apprécier » et s’admirer entre eux, en mettant en avant des systèmes de valeurs genrés qui s’appuient entre autres sur des facteurs biologiques, tels que le dysmorphisme sexuel. Plus largement, ces recherches permettent de plonger au cœur des normes masculines contemporaines, par l’excès qu’en proposent les sports de force, tout en étudiant les possibilités nouvelles du développement d’un sport par les réseaux sociaux, via des influenceurs de la force notamment.

 

Socialisations plurielles

Anne Schmitt, David Sayagh, Christophe Granger, David-Claude Kemo-Keimbou, Peterson Ceus,

 

Les travaux qui s’inscrivent dans ce thème s’intéressent aux socialisations des pratiquantes et pratiquants d’activités physiques, sportives et artistiques, ce qui implique d’étudier l’influence d’espaces et d’instances de socialisation multiples. La famille, les institutions scolaires, les groupes de pairs, les médias, le travail et les institutions sportives diffusent des injonctions souvent contradictoires conduisant les individus à développer des dispositions (manières durables d’être, de se tenir, de sentir, de penser, d’agir, etc.) parfois dissonantes, voire antinomiques avec celles qui sont incorporées au travers des pratiques physiques et sportives. Il s’agit ainsi de s’intéresser à la fois aux dimensions socialisées et aux dimensions socialisantes des pratiques physiques et sportives en rendant compte de cette pluralité d’influences sociales. Il est question d’analyser à la fois en quoi les rapports sociaux de sexe, de classe, d’âge et de race s’influencent mutuellement, jouent sur les pratiques et sont façonnés par ces dernières (Sayagh, 2022 + Schmitt, Atencio et Sempé, 2021 et 2020; Schmitt et Atencio, 2023).

Différents contextes et différentes formes de pratique physique et sportive sont étudié·e·s : les pratiques d’apparence et de mise en spectacle des corps (Granger, 2017), les mobilités actives (Sayagh, 2018), les APS en milieu scolaire (Schmitt, 2020), les sports de haut niveau (Schmitt et Bohuon, 2022, Peterson Ceus), les pratiques sportives militantes (Bohuon, Castan-Vicente et Schmitt, 2022). La confrontation des différents espaces de socialisation permet de faire émerger les dispositions plus ou moins consonantes ou dissonantes des pratiquant·e·s et les modalités socialement contrastées de leur acquisition. Cette démarche conduit par exemple à étudier comment s’articulent les socialisations sportives et mobilitaires des pratiquant·e·s du vélo et comment ces dernières participent à façonner les rapports sociaux de sexe, de classe, d’âge et de territoire (Sayagh et Dusong, 2021 ; Sayagh, 2022).

L’étude des inflexions et des contradictions au sein du jeu des dispositions permet également de mieux comprendre deux aspects décisifs des processus de socialisation dans leur dimension pragmatique : les processus de construction des formes de résistance par les corps (Schmitt et Sempé, 2022; Granger, 2008; Granger, 2010) et l’intervention de la réflexivité critique des actrices et des acteurs dans la réalisation de leur activité (Granger, 2022; Granger, 2023). Notamment à partir des outils de la biographie sociologique, il s’agit aussi d’étudier les formes de re-socialisation et de conversion des dispositions acquises dans le temps long (Granger, 2020; Sayagh et Dusong, 2021).

Façonnant les corps de classe, de genre, de race, en situation de handicap, les socialisations plurielles des acteurs et des actrices du champ sportif (pris dans son acception la plus large) permettent de déceler les mécanismes et les déterminants sociaux afin de comprendre l’incorporation, la reproduction, le renforcement ou au contraire le questionnement, la déconstruction des différents rapports sociaux de pouvoir (Sayagh, 2022; Schmitt et Sempé, 2022). Nos travaux permettent ainsi de dévoiler les fondements sociaux, politiques et culturels des inégalités (Schmitt et Bohuon, 2022 ; Adam, Sayagh et Buhler, 2023). Dans la mesure où ces inégalités sont souvent présentées et perçues comme des faits biologiques immuables, puisque inscrits et marqués dans les corps, ces travaux croisent ceux du thème sur la « biologisation du social ».

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Résistances et mobilisations par corps

Anaïs Bohuon, Florys Castan-Vicente, Peterson Ceus, Christophe Granger, David-Claude Kemo-Keimbou, Louis Neymon, Lucie Pallesi, David Sayagh, Anne Schmitt

 

Au sein de ce thème, les travaux de recherche ont pour objectif d’analyser comment les sportives (et les sportifs exclus des sports dits de tradition féminine), combattent les freins, les résistances et les multiples exclusions depuis près de deux siècles, en investissant des pratiques toujours plus nombreuses, en essayant de participer aux compétitions sportives et, plus rarement, en occupant des positions de pouvoir (Castan-Vicente, Bohuon et al. 2019, Castan-Vicente, Carpentier et Nicolas, 2020 ; Granger, 2024, à paraître). Depuis les années 1900, différents mouvements montrent la possibilité de résistances aux interdits des fédérations fermées aux femmes (Bohuon et Castan-Vicente, 2024, à paraître), ainsi que la portée symbolique forte que constitue une remise en cause des limites des capacités physiques accordées aux femmes, à l'échelle collective (accès à certains droits et professions) comme individuelle (carrières sportives, émancipation physique, santé, autodéfense). À différents moments historiques et dans différents contextes géographiques, les modalités de mobilisations passent par une institutionnalisation séparatiste, permettant une autonomie et l'émergence de figures de dirigeantes, dont les parcours sont également analysés.

Les travaux d’Anne Schmitt analysent les pratiques sportives nautiques hors normes comme la voile hauturière et le surf de grosses vagues, montrant comment les performances exceptionnelles des femmes remettent en question la hiérarchie sexuée autour de laquelle s’est historiquement construit le monde sportif (Schmitt et Bohuon, 2022 et 2022). Le discours sportif et ses catégories femmes/hommes s’y révèlent performatifs et affirment une normativité cis et dyadique remise en cause par les personnes intersexes et les personnes transgenres dans le sport de compétition (Pallesi et Bohuon, 2024 et Pallesi, 2024 à paraître). Il s’agit donc d’analyser les mécanismes au gré desquels s’organisent et se réorganisent sans cesse, notamment sous l’intervention du droit et de la médecine (Granger, 2022), la forme des corps et la place qu’ils tiennent dans les échanges sociaux (Bourguignon, Fabre, Granger, 2021). Construites, les normes corporelles sont aussi déconstruites et reconstruites dans et par les sports.
L’étude des marges du sport et de ses acteurs et actrices les plus transgressives apparaît ici particulièrement heuristique (Castan-Vicente, Bohuon et Pallesi, 2021). Les pratiques à vocation sportive centrées sur la mise en spectacle des corps (spectacle de force et de foire, lutte féminine et lucha libre), permettent d’élucider la “subalternité” des pratiques sportives construites, entretenues, décrites et vécues comme subalternes (Granger, 2022; Granger, 2024, à paraître; Castan-Vicente, 2023). De même, des nouveaux sports ou organisations séparatistes militantes, se tenant à la marge des fédérations, permettent de faire émerger des revendications d’égalité des corps (Bohuon, Castan-Vicente et Schmitt, 2022).

A l’échelle nationale comme internationale, les travaux de Kemo-Keimbou montrent les résistances des pays africains à l’eurocentrisme des fédérations internationales et du mouvement olympique, ainsi que le rôle de l’impérialisme américain dans l’émergence des organisations sportives en contexte post-colonial (Charitas et Kemo-Keimbou, 2013), notamment à travers l’exemple du football.

Les recherches de Peterson Ceus analysent la (non)inclusion des garçons et des hommes dans la pratique compétitive de haut niveau de sports exclusivement autorisés aux femmes réactualisant l'idéologie de la naturalisation du sexe. Ses recherches se centrent sur l’étude sociohistorique des processus et dispositifs, qui au sein des institutions sportives internationales conduisent à l’établissement des critères sociaux, biologiques et symboliques qui n’autorisent pas les hommes et les garçons à participer à certaines compétitions. Ses recherches ont pour objectif d’analyser les représentations corporelles de la performance qu'elles développent, tant dans des formes d'adhésions que de résistances aux institutions sportives.

Enfin, les travaux de David Sayagh s'intéressent aux stratégies plus ou moins conscientes mises en place par certains garçons/hommes cyclistes pour résister aux injonctions à la prise de risque, ainsi que celles développées par certaines femmes cyclistes afin de contourner les normes d'appropriation masculine de l'espace public, lesquelles s'avèrent particulièrement prégnantes dans les Quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) (Sayagh, 2021).

Dominique Charrier

Ce thème de recherche appréhende les processus qui permettent aux pratiques, aux organisations et aux projets sportifs de devenir de véritables outils de développement économique et social des territoires. Une attention particulière est portée aux territoires « contraints », territoires urbains ou ruraux en difficultés n’ayant pas « d’avantages comparatifs » marquants. (Charrier et Jourdan, 2015Charrier et Jourdan, 2017).

Il s’agit de développer une analyse socio-économique des « dynamiques sportives locales » définies comme une « alchimie singulière articulant les spécificités techniques, sociales et culturelles des activités sportives et artistiques aux contextes locaux (population, histoire sportive, culture spécifique, etc.), aux configurations d’acteurs publics et associatifs (et relevant de secteurs différents) et aux volontés politiques déployées sur les territoires ». (Charrier et Jourdan, 2009Charrier et Jourdan, 2014) A partir de ce cadre conceptuel, trois thématiques sont privilégiées.

  • La première concerne l’impact économique et social des événements sportifs. Dans le prolongement des études menées depuis une vingtaine d’années et avec pour perspectives la préparation et l’organisation des JOP 2024,il s’agit d’analyser notamment, aux différents niveaux d’échelles, les conditions de l’acceptabilité sociale des grands événements sportifs par les habitants-électeurs-contribuables, les dynamiques locales qui président à la définition et à la mise en œuvre de programmes d’accompagnements et les modalités d’implication des acteurs locaux. (Charrier, 2016, Charrier et Jourdan, 2019 ; Charrier, Jourdan, Bourbillères, Djaballah et Parmantier, 2019).

 

  • La deuxième porte sur l’utilisation des activités sportives et artistiques à des fins d’éducation, de prévention, d’animation et d’insertion en « territoires contraints » et notamment dans les quartiers relevant de la politique de la Ville. Un dispositif de recherche est déployé depuis 2013 sur un type particulier de « territoires contraints » : les territoires occupés palestiniens. Il permet d’analyser notamment le « jeu des acteurs » internationaux et locaux, les conditions d’accès des femmes aux pratiques et à l’espace sportif public et les mobilités induites ainsi que l’influence des contraintes spatiales, sécuritaires et socio-culturelles sur les pratiques sportives. (Charrier, Parmantier et Jourdan, 2020).

 

  • La troisième concerne le développement des initiatives Sport-Santé impulsées par les politiques publiques de l’Etat et/ou des collectivités locales mais aussi par de nombreux acteurs locaux issus des secteurs du sport et/ou de la santé. Ce programme, engagé en 2019 (Charrier, Granger, Henaff-Pineau, Michel, Parmantier), prend appui sur deux recherches appliquées, réalisées en partenariat avec le conseil départemental de l’Essonne et avec la communauté d’agglomération de Paris-Saclay. Il vise en particulier à recenser et à décrire les initiatives, à analyser les obstacles et les leviers et les conditions de la synergie entre deux cultures professionnelles différentes.

Ces travaux, fondés sur une analyse comparée de situations contrastées, étudiées dans le cadre de recherches empiriques contractuelles ou doctorales, renvoient à deux hypothèses principales :

  1. La portée explicative des contextes locaux. Caractéristiques socio-démographiques des populations, histoires locales, mémoires des territoires, volontés politiques, etc. construisent partout des configurations d’acteurs spécifiques et des alchimies locales singulières… discréditant toute recherche de modèles ou de « bonnes pratiques » qu’il suffirait de repérer et de dupliquer.
  2. La spécificité des dynamiques locales en « territoires contraints ». Les différentes études empiriques réalisées montrent comment et pourquoi ces territoires peuvent aussi constituer des lieux d’adaptation, d’anticipation voire d’innovation sociale.

Contact

Anaïs Bohuon, Professeur

anais.bohuon@universite-paris-saclay.fr