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Christine Le Scanff : Soigner les maux de l’esprit par l’exercice du corps

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 30 juin 2021 , mis à jour le 08 juillet 2021

Christine Le Scanff est enseignante-chercheuse au laboratoire Complexité, innovation, activités motrices et sportives (CIAMS - Université Paris-Saclay, Université d’Orléans) et directrice de la Graduate School Sport, mouvement, facteurs humains de l’Université Paris-Saclay. Professeure de sport, psychologue, spécialiste du stress et des liens corps-esprit, Christine le Scanff a, grâce à son parcours scientifique atypique, acquis des expertises croisées reconnues qui s’appliquent dans des secteurs très différents. Elle figure parmi les rares femmes ayant occupé des fonctions de direction d’UFR STAPS sur les cinquante que compte la France, et a dirigé en parallèle l’école doctorale « Sciences du sport, de la motricité et du mouvement humain » pendant dix ans.

Issue d’un milieu populaire, Christine Le Scanff n’a d’autre choix que de financer ses études en passant le concours de professeur d’éducation physique, à l’âge de 21 ans. S’enchainent alors deux vies en parallèle : celle d’étudiante en licence de sciences de l’éducation, et celle de professeure d’éducation physique et sportive dans un collège. Elle poursuit avec les toutes nouvelles formations en sciences et techniques des activités physiques et sportives STAPS (master 1 et 2) créés à l’Université de Nanterre dans les années 80. 

Sociologie de l’aérobic

« Lorsque j’ai commencé mes études, il n’y avait pas encore de recherches en sciences du sport, se souvient Christine Le Scanff. Pratiquant moi-même la danse, je me suis très tôt intéressée aux liens corps-esprit, consacrant mon master (DEA) à la sociologie du corps. Observant les danseurs en fonction des types de danse pratiqués (classique, jazz, contemporain, gym aérobic), j’en déduisais des modèles sociologiques. J’analysais leur alimentation, leurs habitudes culturelles… » Jeune chercheuse, Christine Le Scanff est une des premières à s’intéresser à la sophrologie, à l’anthropologie et à tous les processus de modification de la conscience, jusqu’à la manipulation mentale et aux philosophies orientales (bouddhisme, yoga, taoïsme). Jean Rivolier, un des spécialistes du stress en France, fondateur du laboratoire de psychologie de l’Université de Reims et longtemps médecin des expéditions polaires, accepte de diriger ses recherches. Elle devient ainsi la première étudiante à soutenir une thèse en STAPS, en 1990 (Université Paris Descartes). Des recherches qui aboutissent à la rédaction d’un ouvrage pionnier pour l’époque (La Conscience modifiée) et guident la suite de sa carrière. Après sa thèse, Christine Le Scanff part à San Diego comme assistante professeure pour se former en thérapie comportementale et cognitive, en psychologie du sport et parfaire son anglais. 

Psy des équipes de France

De retour en France, elle est recrutée par l'Institut national du sport et de l'éducation physique (INSEP) – devenu l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance en 2009 - et intègre le laboratoire de Psychologie du sport pour faire ses recherches et coacher l’équipe de France de kayak en préparation des Jeux olympiques d’été de Barcelone de 1992. Elle enchaîne avec les équipes de France de voile, qu’elle accompagne aux quatre coins du monde pendant huit ans. Elle obtient un poste de maîtresse de conférences à l’Université de Caen et elle lance à Reims le premier diplôme d’université en préparation mentale. Christine Le Scanff complète sa formation avec le diplôme de psychologue du Cnam et, entre autres, une formation à l’hypnose. 

Nommée professeure à l’Université de Reims, elle y reste cinq ans, contribuant notamment à la création de l’UFR STAPS de cette université. C’est en 2004 que Christine Le Scanff rejoint l’UFR STAPS d’Orsay (aujourd’hui Faculté des sciences du sport de l’Université Paris-Saclay) en tant que professeure au CIAMS et, dans la foulée, elle devient directrice-adjointe chargée de la recherche. Trois ans après, elle prend la direction de l’UFR et un an plus tard, en 2008, celle de l’école doctorale Sciences du sport, de la motricité et du mouvement humain, une des deux en France. 

Trente ans à étudier le stress

« Lorsque ma carrière a débuté, on parlait peu de stress. Or, moi, je l’étudie depuis plus de trente ans ! » Christine Le Scanff commence par observer, en collaboration avec l’Agence spatiale européenne (ESA), les réactions des astronautes confinés dans de petites capsules. Elle travaille également avec les brigades anti-criminalité (BAC) de la police nationale, puis avec l’École nationale de ski et d’alpinisme (ENSA). « Dans mon ouvrage Les aventuriers de l’extrême, j’ai analysé pourquoi certaines personnes tiennent le coup, alors que d’autres "craquent", détaille la chercheuse. Je me suis aperçue que ces personnes avaient des itinéraires personnels particuliers, avec des failles importantes. Ces recherches ont mis en évidence le concept d’alexithymie, c’est-à-dire la difficulté à reconnaitre ses émotions et à les exprimer. Ces personnes passent à l’acte en fonction de leurs émotions. La recherche de sensation est là pour brouiller le message émotionnel. » 

Cette notion est très prégnante chez les sportifs pratiquant des sports extrêmes, ceux qui cherchent les « shoots » d’adrénaline, comme le parapente ou le base-jump. Plus tard, la chercheuse relie ce concept à un autre : celui d’attachement parental qui fait référence aux instabilités du lien parent-enfant : absence de père, mère trop possessive ou au contraire « évitante », concurrence dans la fratrie. Elle repère ces problèmes, les mêmes que chez les personnes droguées ou alcooliques, lors d’entretiens. « Nous avons retrouvé ce même lien chez des sportifs, extrêmes ou non mais ayant des troubles de conduites alimentaires ou d’alcoolisation, se souvient Christine Le Scanff. Leurs fragilités familiales entrainent clairement des conduites à risque et éventuellement des sensibilités au dopage. » Elle collabore depuis quelques années avec le Laboratoire d'informatique pour la mécanique et les sciences de l'ingénieur, LIMSI (devenu le Laboratoire interdisciplinaire des sciences du numérique, LISN, en janvier 2021) sur une application de gestion du stress en lien notamment avec IBM France.

Combattre les méfaits de la sédentarité 

Convaincue des bienfaits de l’exercice physique, la chercheuse a démontré que le yoga, qu’elle enseigne, peut être un remède efficace contre les hormones de stress. « Avec l’âge, c’est le manque d’activité qui renforce toutes les causes de mortalité, affirme Christine Le Scanff, qui en a fait un de ses principaux chevaux de bataille depuis longtemps. Dès mon mémoire de licence en éducation physique, toutes les études que j’avais consultées convergeaient vers le même résultat : on gagne dix ans d’âge grâce aux bénéfices de l’activité physique ! » Depuis, la chercheuse ne cesse de faire passer ce message autour d’elle, coachant sa famille et ses amis. 

De l’UFR STAPS à la Graduate school 

Après avoir continué à développer la filière STAPS d’Orsay, pour laquelle l’engouement des jeunes ne s’est jamais démenti, Christine Le Scanff prend la tête de la Graduate School Sport, mouvement, facteurs humains de l’Université Paris-Saclay. La Graduate School (GS) fait évoluer ses formations vers des masters internationaux en anglais pour attirer les étudiants internationaux et propose plusieurs diplômes d’université (DU) destinés aux professionnels de différents secteurs, comme le DU Techniques d’optimisation de la performance (TOP) visant la préparation mentale et la gestion des conditions extrêmes, en collaboration avec un médecin de l’armée et un policier du RAID. D’autres DU concernent les thérapies manuelles ou encore la gestion de la douleur. En janvier 2021, la GS a organisé un séminaire international intégrant des tables rondes pour renforcer les liens avec les entreprises et l’entrepreneuriat. Prochaines échéances : les Jeux olympiques d’été de Paris en 2024, « avec des étudiants et des enseignants sportifs dans les starting block ! ».